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Mahomet et Charlemagne

Charlemagne

Les années qui ont suivi la première guerre mondiale virent paraître plusieurs œuvres importantes consacrées au passage du monde antique au monde médiéval. Alfons Dopsch publiait en 1919-1920 ses Wirtschaftliche und soziale Grundlagen der europâischen Kulturentwicklung et rééditait en 1921-1922 Die Wirtschaftsentwicklung der Karolingerzeit. Hermann Aubin faisait paraître en 1922 le premier de ses mémoires sur le début du moyen âge, qui devaient être réunis en volume vingt-sept ans plus tard sous le titre Vom Altertum zum Mittelalter. Ferdinand Lot nous donnait en 1927 La fin du monde antique et le début du moyen âge. En 1932 voyait le jour The making of Europe. An introduction to the history of European unity, de Christopher Dawson.

Le problème qui tourmentait ces esprits de grande classe préoccupait aussi Henri Pirenne et, semble-t-il, depuis longtemps. Mais c'est en 1922 seulement qu'il fit connaître la conception qu'il en avait et les solutions qu'il en proposait. Dans le premier fascicule du tome Ier de la Revue belge de Philologie et d'Histoire qui venait d'être créée à son initiative, il publiait un article intitulé Mahomet et Charlemagne. Un second article, Un contraste économique. Mérovingiens et Carolingiens, complétant le premier et le mettant au point, fut publié dès 1923 dans le même recueil.

Pirenne croyait que les invasions germaniques n'avaient pas altéré en profondeur la civilisation, la vie économique, la structure sociale du monde antique à son déclin, en Europe occidentale. Le grand bouleversement aurait été opéré au VIIe siècle, quand les Musulmans acquirent la maîtrise dans l'ouest de la Méditerranée. En coupant l'Occident de l'Orient et de l'Afrique, ils l'ont obligé à se replier sur lui-même. Le centre de gravité s'est déplacé vers le nord, vers les pays germaniques. L'influence germanique se fit, à partir du VIIIe siècle, de plus en plus forte dans les institutions et dans la vie sociale. Le grand commerce était désormais impossible ; l'aspect économique de la civilisation a nécessairement pour base la terre et singulièrement le domaine se suffisant à lui-même. La grande figure de ce monde nouveau, Charlemagne, est inconcevable sans Mahomet.

Mahomet et l'archange Gabriel

Le retentissement des articles de Pirenne fut immédiat et durable. Les discussions furent vives dans tous les milieux d'historiens et l'on a cité plus haut des débats restés célèbres et des exposés publics qui ne le furent pas moins.

Pirenne, avec cette constante probité scientifique dont on ne fera jamais assez l'éloge, s'appliqua au cours des treize années qui suivirent la publication de son premier article, à creuser plus profondément les divers aspects du sujet. Il le fit en usant de la bonne méthode des « Vorarbeiten ». Celles-ci se succédèrent d'année en année, préparant le livre qu'il voulait écrire, assurant à cette œuvre les solides assises que peuvent seuls procurer les travaux d'érudition. On eut l'heureuse idée de grouper ces études préparatoires et de les republier sous la rubrique La fin du monde antique et le  haut moyen âge, dans le recueil déjà cité Histoire économique de l'Occident médiéval; recueil de même type que celui où se trouvent réunis les travaux d'histoire urbaine, mais préparé avec infiniment plus de soin par un petit-fils de l'auteur, Jacques-Henri Pirenne (si nous sommes exactement informé).

On sait que la rédaction du livre fut achevée le 4 mai 1935 et que, six mois plus tard, l'existence terrestre du grand historien prenait fin. A vrai dire, ce qu'il avait achevé n'était qu'une rédaction provisoire. Pirenne écrivit presque tous ses livres deux fois. Un premier jet n'était rédigé qu'en partie, n'était muni de références que par endroits et sous une forme simplifiée ; le style n'avait guère reçu de soins ; le souci des proportions n'apparaissait pas encore pleinement. Pirenne nommait ce texte-là, « le monstre ». Après quoi commençait le travail de mise au point dont sortait le texte définitif. Le « monstre » qui venait au monde en 1935, reçut le titre de l'article de 1922 : Mahomet et Charlemagne. Historien lui-même, Jacques Pirenne se rendait compte de l'impossibilité où l'on se trouvait de faire paraître tel quel le texte de son père. Il s'adressa, pour mettre l'œuvre en état d'être publiée, à Fernand Vercauteren. Il convient de s'en féliciter. Le choix, en effet, était particulièrement heureux : Vercauteren avait consacré lui-même des travaux importants à la fin du monde antique et au début du moyen âge et il avait eu, sur les questions traitées dans le livre de son maître, de très fréquents entretiens avec celui-ci. On peut affirmer sans exagération qu'il a rempli sa tâche de manière parfaite. Rien n'a été changé au texte ; les adjonctions nécessaires ont été faites avec toute la modération et l'honnêteté requises ; les erreurs de fait, conséquences du mode de rédaction de l'auteur, ont été corrigées. Quant à la documentation destinée à figurer en note, à peine esquissée dans le manuscrit, et cependant indispensable dans un livre de ce type, elle est en majeure partie l'œuvre de Vercauteren. Mais le livre lui-même est bien un livre de Pirenne.

Deux ré-éditions récentes de "Mahomet et Charlemagne"

Ce que l'on a nommé la question « Mahomet et Charlemagne » n'a pas cessé depuis 1935 de faire l'objet de discussions, de recherches et de publications. On est frappé du caractère central qu'a pris le problème parmi les préoccupations des érudits. Le nombre et l'importance des contributions nouvelles à l'étude du passage du Bas-Empire au très haut moyen âge ont fort bien été mis en lumière par Charles Verlinden dans une remarquable contribution intitulée Henri Pirenne, au recueil de portraits intellectuels de maîtres historiens, paru à Tübingen sous le titre Architects and Craftsmen in History. Festschrifl für Abbot Payson Usher ; il peut suffire d'y renvoyer : encore l'auteur n'a-t-il pas visé à être complet. Sans doute la thèse même de Pirenne, ce qu'à tort ou à raison l'on appelle sa « théorie », n'est-elle guère admise par la plupart de ceux qui pratiquent beaucoup et connaissent un peu l'histoire de l'Europe et des régions avoisinantes du IVe au IXe siècle. Mais tous s'accordent à dire que Pirenne en écrivant son livre a fait progresser considérablement la connaissance de cette histoire. Directement, en projetant sur beaucoup de ses aspects une lumière abondante et pour une bonne part nouvelle. Indirectement surtout, en forçant les historiens à réexaminer les problèmes connus, à en poser d'autres, à créer et à mettre en œuvre des méthodes inédites, à entreprendre des recherches négligées jusque-là. Nul ne songerait à minimiser l'influence de la pensée de Dopsch, de Lot, de Dawson, d'Aubin sur l'ensemble d'activités auxquelles il vient d'être fait allusion. Mais on ne se trompera pas, croyons-nous, en considérant l'action de Pirenne comme plus forte encore que celle de ces maîtres éminents. Il n'est guère d'œuvre historique qui ait, au cours des trente dernières années, été aussi féconde que Mahomet et Charlemagne et les mémoires qui l'ont préparé et étayé.

Le livre a été traduit en plusieurs langues. La traduction allemande de P. E. Hübinger, Geburt des Abendlandes, Amsterdam, 1942, est excellente ; elle a été rééditée à Berlin et à Francfort en 1952. Dans la traduction allemande, l'appareil de notes a été légèrement augmenté, des tableaux généalogiques, des listes de souverains, un index alphabétique et une carte ont été ajoutés. Une traduction anglaise de Bernard Miall a vu le jour à Londres en 1954 ; il en existe une édition dans une collection bon marché, publiée à New-York en format in-12°, en 1957 : Mahommed and Charlemagne. La traduction italienne de Mario Vinciguerra, Maometto e Carlomagno, a vu le jour à Bari dès 1939.

Texte de GANSHOF François-Louis : "Pirenne, Henri", in Biographie nationale, Bruxelles, Emile Bruylant, t. 30, 1959, colonnes 707-711. Reproduit avec l'aimable autorisation de  l'Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique.

 

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Dernière mise à jour : 8 août 2006