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Le style

Henri Pirenne dans son cabinet de travail à Uccles en 1933

On a jadis pas mal débattu le point de savoir si l'histoire est une science ou un art. Qu'elle soit une science n'est plus aujourd'hui contesté que par des primaires, par des hommes de science à œillères, ou par de beaux esprits fatigués, jouant un peu tard leur Alcibiade. Qu'elle soit également un art - les travaux d'érudition mis à part - nous paraît certain. Il est même des livres d'histoire entièrement dépassés au point de vue scientifique, dont la valeur littéraire garantit la survie.

Pirenne n'a pas recherché les artifices de style ; on ne rencontre pas chez lui l'usage chronique de certains procédés qui parfois charment au début, mais dont la constance ou la répétition finit par lasser ; pas de morceaux de bravoure ; pas non plus de ces confidences baignées de tendresse vague, qu'ont mises malencontreusement à la mode quelques historiens contemporains.

Le seul souci qu'eût Pirenne dans le domaine du style et de la langue, était d'écrire correctement et clairement. Il avait horreur de ce qu'il appelait la cacographie, c'est-à-dire des fautes de syntaxe et du confusionnisme. Tout ce qui portait atteinte à la netteté de l'expression, constituait à ses yeux une faute contre la pensée.

Comme tous ceux qui ont une personnalité accusée, qui savent ce qu'ils ont à dire et qui connaissent la langue dont ils usent, Pirenne avait acquis une manière à lui d'écrire ; inconsciemment il avait développé un style personnel. Sans qu'il tendît au classicisme, il avait la clarté des grands prosateurs classiques. Mais sa prose était fort éloignée du caractère volontiers abstrait que présente généralement leur écriture. Pirenne voyait et faisait voir. Un personnage était construit et peint en quelques traits : Philippe le Bon, Charles le Téméraire, Philippe II, Guillaume le Taciturne, Joseph II, Guillaume Ier ou encore la grandiose apparition du roi Léopold II qui « du  haut des fenêtres de son palais d'Ostende, laissait, comme un autre Henri le Navigateur, son imagination courir sur les flots » (Histoire de Belgique, VII, p. 350). Pirenne, d'ailleurs, ne se limitait pas au statique ; lorsqu'il le souhaitait, l'image rendait le mouvement : que ce fussent, au tome Ier de l'Histoire de Belgique, les marins flamands remontant la Tamise au chant du « Kyrie eleison » ou, à la fin du tome III, les « tercios » du duc d'Albe entrant à Bruxelles. Peu de mots lui suffisaient à créer l'évocation.

Pirenne s'est défendu d'être original dans ses chapitres traitant d'histoire littéraire ou artistique. Mais il savait regarder et rendre nettement ce qu'il avait vu. Il est, au tome II de l'Histoire de Belgique, une phrase caractérisant de manière presque tangible tout un aspect de notre art à la fin du XIVe et au XVe siècle, cet art qui aime « des formes plus arrondies, plus pleines et d'un mouvement plus vrai » (2e édition, p. 462).

Sans qu'il y ait tendu et presque sans le savoir, Pirenne avait trouvé des moyens propres d'expression. Il n'a pas fait de l'adjectif un usage indiscret ; mais il ne croyait pas comme son collègue louvaniste et ami, le chanoine Cauchie, que cette partie du discours devait être exclue du langage historique. La phrase qui vient d'être citée montre l'aisance et le goût avec lesquels il en usait. Elle fournit également un excellent exemple du groupement balancé de trois éléments que Pirenne introduisait parfois dans le complément direct de ses phrases. Il atteignait ainsi à l'ampleur de forme que réclamait, dans certains cas, l'importance de la pensée.

L'Histoire de Belgique et l'Histoire de l'Europe ne sont pas seulement des monuments de l'historiographie contemporaine ; elles sont aussi de grandes œuvres littéraires. A côté d'Augustin Thierry, de Michelet, de Renan, de Taine, de Fustel de Coulanges, Pirenne doit être cité parmi les historiens qui ont illustré la prose française.

Texte de GANSHOF François-Louis : "Pirenne, Henri", in Biographie nationale, Bruxelles, Emile Bruylant, t. 30, 1959, colonnes 711-713. Reproduit avec l'aimable autorisation de  l'Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique.

 

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Dernière mise à jour : 8 août 2006