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L'« Histoire de Belgique »

Ré-édition de 1948 de l'Histoire de Belgique

L'œuvre d'Henri Pirenne qui lui procura, bien au delà du monde des historiens, la grande notoriété fut l'Histoire de Belgique. Elle comporte sept volumes parus à Bruxelles, dont le premier vit le jour en 1900, le dernier - on l'a dit - en 1932. L'idée venait de Lamprecht. A l' « Historikertag » allemand de   Leipzig   en   1894,   c'est   lui   qui engagea Pirenne à écrire une histoire de son pays pour la  Geschichte der europäischen Staaten dite de Heeren-Uckert, qu'il dirigeait. Pirenne hésita, puis   accepta   audacieusement   cette tâche redoutable, comme il l'a rappelé lui-même   dans   un   texte   reproduit plus haut.  Les  quatre premiers volumes  parurent,  en  effet,   à  Gotha, dans cette vénérable collection, remarquablement traduits en allemand par Fritz Arnheim (Geschichte Belgiens) ; le premier volume fut même publié en allemand   dès   1899,   quelques   mois avant le texte original français. Chacun des volumes français a connu plusieurs   éditions,   qui   du   vivant   de l'auteur furent toutes revues et corrigées ; la 5e édition du tome Ier (1929) fut même assez largement remaniée. Une traduction néerlandaise de l'ouvrage fut procurée par R. Delbecq ; elle comporte 7 volumes, parus à Gand, de   1902   à   1933   (Geschiedenis van België). On a donné depuis une édition de l'ouvrage en quatre volumes in-4° (Bruxelles, 1948-1952) ; elle reproduit le texte des dernières éditions revues par l'auteur et elle est munie d'une remarquable illustration documentaire recueillie   par   Frans   Schauwers   et Jacques Paquet. Une nouvelle édition néerlandaise de même structure et de même caractère a paru à Bruxelles en 1954 ; la traduction a été dirigée par Adolf Van Loey. Dans ces deux éditions on a donné au texte de Pirenne qui s'arrête à la veille de la première guerre mondiale, une suite due à divers auteurs. Il est permis de ne pas trouver l'idée heureuse.

Pirenne était bien préparé à traiter son sujet, tout particulièrement sa fraction médiévale à laquelle furent consacrés les deux premiers volumes. Ses travaux d'érudition, ses mémoires consacrés à des points particuliers de l'histoire de Belgique, ses recherches sur les villes, sur l'industrie drapière, sur le commerce des anciens Pays-Bas dont il sera question plus loin, assurèrent à son œuvre des assises remarquablement solides.

Un répertoire bibliographique qu'il se donna la peine de préparer et plus tard de revoir soigneusement en vue de rééditions successives, révèle la connaissance parfaite qu'il avait ou qu'il acquit, des sources et de la littérature ; la Bibliographie de l'Histoire de Belgique parut en première édition à Gand en 1893, en seconde édition à Bruxelles en 1902 ; une troisième édition en collaboration avec deux anciens élèves, Henri Nowé et Henri Obreen, vit le jour à Bruxelles en 1932 (avec la date 1931) : tandis que les éditions antérieures s'arrêtaient à 1830, la dernière, que Pirenne appelait plaisamment « la bibliographie des trois Henri », fut poussée jusqu'en 1914. Il importe, à propos de ce répertoire, de noter que, dès la première édition, Pirenne voulut qu'il comprît aussi bien la documentation relative aux principautés et provinces du Nord que la documentation ayant trait aux principautés et provinces du Sud, tout au moins jusqu'à leur séparation. C'est la raison pour laquelle il associa son ancien élève néerlandais, devenu un ami très cher, Henri Obreen, à la préparation de la troisième édition. Le sous-titre du livre (nous citons d'après l'édition de 1931) est, d'ailleurs, très explicite : Catalogue méthodique des sources et des ouvrages principaux relatifs à l'histoire de tous les Pays-Bas jusqu'en 1598 et à l'histoire de Belgique jusqu'en 1914.

Edition originale dédicacée du discours sur "La Nation belge" prononcé à la distribution des prix du Concours universitaire et du Concours général de l'enseignement moyen.

L'Histoire de Belgique de Pirenne ne se distingue pas seulement de ses devancières par la solidité que lui procurait l'érudition de son auteur mais aussi par une lucidité remarquable de l'exposé et par des points. de vue nouveaux. Ceux-ci apparaissent déjà dans un discours que Pirenne prononça en 1899 sur La Nation belge à la distribution des prix du Concours universitaire et du Concours général de l'enseignement moyen.

Le premier de ces points de vue est l'étroite dépendance de l'histoire de Belgique, particulièrement au moyen âge, mais encore aux temps modernes, à l'égard de l'histoire de quelques grandes nations européennes : Allemagne, France, Angleterre. L'histoire de ces nations doit sans cesse intervenir pour expliquer, pour éclairer la nôtre ; au moyen âge notre histoire est même un fragment de l'histoire de l'Allemagne et de la France.

Le second de ces points de vue est l'importance des faits de masse et singulièrement des faits de masse par excellence, les phénomènes économiques et sociaux. Sans fournir une solution à tous les problèmes, ils en procurent à beaucoup d'entre eux. Pirenne discernait dans ces phénomènes de masse, étudiés en diverses parties du pays, des caractères communs ou tout au moins analogues ; il pensait que leur action avait préparé ou facilité l'unification politique relative réalisée par les ducs de Bourgogne.

Cette unification relative une fois réalisée, l'histoire de l' « État bourguignon  - pour user d'une expression chère à Pirenne -, celle de la séparation des Pays-Bas du Nord et du Sud, les destinées ultérieures des Pays-Bas méridionaux, la naissance de la Belgique moderne et la vie de celle-ci jusqu'en 1914, offraient à l'historien des difficultés qui n'étaient plus entièrement les mêmes que pour les périodes plus anciennes. Sans doute, ici encore, une connaissance plus exacte des faits de masse rendait d'inappréciables services ;  mais cette connaissance restait bien imparfaite et le nombre de problèmes dont elle ne proposait pas de solution devenait plus considérable : Pirenne l'a reconnu spontanément dans la plupart des derniers volumes de son œuvre.

Une autre difficulté qu'il fallait vaincre, était le fait qu'à partir du XVIe siècle notre histoire offre des aliments aux passions idéologiques. Pirenne disait parfois que l'on avait peine à bien faire de l'histoire quand la matière historique est encore vivante ; et plus on avance dans le temps, plus elle est vivante. Cet écueil-là, sa remarquable objectivité, son souci de ne pas se laisser influencer par des sympathies ou par des antipathies, ont seuls permis à Pirenne de l'éviter.

Marc Bloch (1886-1944)

L'Histoire de Belgique, ou plutôt l'histoire de la nation belge, a reçu les éloges de quelques-unes des personnalités les plus éminentes du monde historique ; Marc Bloch estimait qu'aucun pays ne possédait, sur son passé, un livre comparable à l'œuvre de Pirenne. Jadis, Lamprecht en avait suivi l'élaboration avec passion, et dans les lettres où il exposait à son ami le devenir de sa Deutsche Geschichte, il s'informait toujours de la progression de l'Histoire de Belgique. H. Brugmans a pu écrire : « dat als geheel zulk een boek bestaat, is een voorrecht en een zegen voor een volk ».

Et cependant, l'œuvre a suscité des critiques. Il en est qui portent sur les faits et sur leur interprétation. Pirenne a tenu compte de quelques-unes d'entre elles dans des éditions successives. D'autres critiques, plus récentes, sont le résultat de recherches nouvelles ; elles sont légitimes et nécessaires : Pirenne savait que toutes les synthèses ont des parties fragiles ; il parlait parfois à leur propos, avec quelque outrance, d'échafaudages indispensables, mais appelés à disparaître. On a formulé des critiques au sujet de la conception même de l'œuvre et des méthodes appliquées par l'auteur : matière à discussion.

Il est enfin un type de critique dont on ne peut ici s'abstenir de dire quelques mots. On a reproché à Pirenne d'avoir systématiquement tenu en dehors de son exposé ou presque les principautés septentrionales des Pays-Bas ; on l'a accusé d'avoir fait de l'histoire ad probandum afin de procurer à l'État belge de 1830 une justification historique.

On se demande comment un lecteur attentif a pu formuler le premier de ces griefs. Les principautés - plus tard les provinces - du Nord ne sont pas absentes des volumes traitant des anciens Pays-Bas avant la séparation. Sans doute sont-elles traitées sommairement. La raison principale en est que pour Pirenne elles avaient, aux époques envisagées, moins d'importance. D'ailleurs, certaines principautés ou provinces du Sud n'ont guère joui d'un traitement plus favorable : Hainaut, Namur, Luxembourg ; le Brabant lui-même passe souvent - et fort injustement - à l'arrière plan. Pirenne croyait qu'il fallait toujours mettre l'accent sur l'important, notion dans une certaine mesure subjective ; et cet accent il le mettait parfois fortement. Or il pensait - et il l'a dit bien souvent à l'auteur décès lignes - que dans les anciens Pays-Bas il n'y avait eu que deux « pays » vraiment importants : la Flandre et Liège.

Claes Janszoon Visscher (1587-1652), Leo Belgicus, 1609, Museum Simon van Gijn, Dordrecht.

Au surplus, Pirenne écrivant une Histoire de Belgique avait à se préoccuper avant tout des principautés ou des provinces dont la majeure partie du territoire est située à l'intérieur des frontières de l'État belge actuel. D'autre part, on ne saurait oublier que l'Histoire de Belgique avait été conçue primitivement en vue de prendre place, en traduction, dans une collection où figurait aussi la version allemande de la Geschiedenis van het Nederlandsche Volk de P.-J. Blok; il eût dès lors été peu opportun, voire même assez malséant, pour Pirenne de reprendre à nouveau en détail ce qu'exposait son savant collègue néerlandais. Ceci vaut pour les quatre premiers volumes, donc pour toute la période antérieure à la séparation du Nord et du Sud.

Le second reproche est plus grave : s'il était justifié - quod non - il atteindrait Pirenne dans son intégrité morale. Ceux qui l'ont formulé ont cru pouvoir user d'un argument de texte, savoir les phrases introduisant la préface de la première édition du tome Ier : « Je dois au lecteur quelques mots d'explication sur le but » et sur la méthode de ce livre. Je m'y suis proposé de retracer l'histoire de la Belgique au moyen âge, en faisant ressortir surtout son caractère d'unité. J'ai voulu écrire une  œuvre d'ensemble et de synthèse ». Un a priori, comme on l'a suggéré ou affirmé? Non. Pirenne, cherchant à écrire une synthèse, s'est préoccupé, comme il se devait, de trouver un moyen technique de la réaliser. Or ses recherches antérieures et celles qu'il avait entreprises en vue de la rédaction du volume lui avaient révélé, croyait-il, l'existence de phénomènes présentant un caractère d'unité. Il a trouvé, dans leur mise en valeur, un moyen de réaliser la synthèse à laquelle il visait ; ce moyen, il l'a utilisé légitimement. "Je me suis proposé de" vise un procédé de composition sans plus. Telle est la réponse que Pirenne a faite lui-même à une question que l'auteur de cet article s'est permis un jour de lui poser.

On ne saurait donner, à ce que nous venons d'écrire, conclusion plus exacte que ces quelques lignes extraites d'un article consacré à la mémoire du maître, par son disciple Fritz Quicke {Revue belge de Philologie et d'Histoire, XIV, 1935, p. 1671) : « En préparant  le récit objectif de nos destinées, M. Pirenne ne faisait pas œuvre sentimentale, il ne savait pas où le conduiraient son effort et ses recherches. Il s'est fait que par l'enchaînement des événements et par la volonté de quelques princes, cette histoire est devenue celle d'une nation, la nôtre.  Il ne l'a pas voulu ».

Texte de GANSHOF François-Louis : "Pirenne, Henri", in Biographie nationale, Bruxelles, Emile Bruylant, t. 30, 1959, colonnes 686-691. Reproduit avec l'aimable autorisation de  l'Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique.

 

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Dernière mise à jour : 7 novembre 2007