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Histoire économique et sociale généralePirenne aimait répéter : « Il n'y a de science que du général ». L'histoire économique et sociale qu'il avait enrichie par bien des recherches monographiques et qui lui avait procuré l'essentiel de sa conception du phénomène urbain au moyen âge, se prêtait aux vues générales. Pirenne croyait même qu'elle s'y prêtait mieux que tout autre aspect de l'histoire. Soucieux de larges horizons, il a engagé certains de ses élèves à étudier les relations économiques des anciens Pays-Bas, et singulièrement de la Flandre, avec les pays étrangers, en usant des sources de ces pays : les recherches de Gaston Dept et d'Henri Berben pour l'Angleterre, de Charles Verlinden pour l'Espagne, le Portugal et la Pologne, doivent à ce titre être citées ici ; doivent l'être aussi les recherches consacrées au commerce avec Gênes par un remarquable médiéviste américain, Robert Reynolds, qui avait pendant un an reçu, à Gand, l'enseignement de Pirenne. Mais il importe avant tout de parler ici des travaux du maître lui-même. Dès avant la première guerre mondiale, il tenta un essai de synthèse s'appliquant à un domaine particulièrement important de l'histoire économique : son mémoire sur Les étapes de l'histoire sociale du capitalisme, paru en 1914 dans le Bulletin de la Classe des Lettres de l'Académie royale de Belgique. Deux traits caractérisent cette puissante esquisse. D'abord le souci que Pirenne avait des hommes. Le capitalisme n'est pas étudié exclusivement dans sa formation, dans son rôle, dans son action, dans sa technique. Il l'est aussi ou, plus exactement, il l'est surtout dans les hommes qui, à diverses périodes de l'histoire, l'ont créé ou recréé, lui ont donné ses formes, l'ont utilisé, dirigé ou servi. Second trait : un grand souci d'exactitude et de réalisme. La construction s'élève sur un ensemble de faits historiques établis et contrôlés ; sans doute l'auteur leur donne - et il doit leur donner - une interprétation ; mais ils sont là et jamais la synthèse ne perd le contact avec eux. La chose mérite d'être signalée : on sait que certaines synthèses, jadis célèbres, dans le domaine de l'histoire économique, et notamment dans celui de l'histoire du capitalisme, ne répondent pas à ces exigences. Bien des années plus tard, Pirenne allait bâtir une œuvre synthétique plus large. Gustave Glotz lui demanda de traiter au tome VIII de l'Histoire du moyen âge faisant partie de l'Histoire générale qu'il dirigeait, Le mouvement économique et social du Xe au XVe siècle. Ces deux cents pages parurent en 1933. Elles se partagent un volume intitulé La civilisation occidentale au moyen âge, avec un groupe de chapitres d'Henri Focillon sur Les mouvements artistiques et avec un troisième groupe de chapitres de Gustave Cohen sur Le mouvement intellectuel, moral et littéraire. On trouve dans les pages de Pirenne, après une introduction consacrée au très haut moyen âge, un exposé donnant l'essentiel sur tous les principaux aspects du sujet. Cet exposé est l'œuvre d'un grand historien, qui, au soir d'une longue vie, ordonne, dans un domaine qu'il connaît mieux que personne, l'ensemble de ses connaissances. Bien des problèmes avaient été étudiés par lui au cours de sa carrière, et dans ces cas-là son texte est le fruit de ses recherches personnelles ; d'autres parties de l'œuvre sont le résultat de ses lectures, encore que sa pensée à lui ne soit jamais absente.
L'histoire économique et sociale est peut-être la fraction de l'histoire qui a connu les renouvellements les plus grands au cours des trente dernières années. Il va de soi qu'en plusieurs endroits l'exposé de Pirenne serait aujourd'hui à reprendre. Il est d'autant plus remarquable qu'il ait, en tant que vue d'ensemble, conservé une inestimable valeur. De bons juges considèrent qu'aucun ouvrage général ne peut lui être comparé et qu'il faut faire lire avant tout le magistral aperçu de Pirenne par quiconque veut s'initier à l'histoire économique et sociale. Ces chapitres de la Collection Glotz ont produit une telle impression que l'on a jugé nécessaire de les traduire en plusieurs langues et de faire paraître ces traductions en volumes. Ils avaient notamment enthousiasmé Eileen Power, ce maître, trop tôt disparu, de l'histoire économique et sociale en Grande-Bretagne. Comme Les Anciennes Démocraties des Pays-Bas avaient reçu une édition anglaise à l'initiative de T.-F. Tout, Le mouvement économique et social en reçut une à l'intervention d'Eileen Power : Economie and Social History of Medieval Europe; elle parut à Londres en 1936 ; le traducteur, I.-E. Clegg, s'est remarquablement acquitté de sa tâche. Il a paru également une traduction néerlandaise, De Middeleeuwen. Economische en sociale geschiedenis, Anvers et Amsterdam, 1948, et une traduction allemande, Sozial und Wirtschaftsgeschichte Europas im Mittelalter, Berne, 1946 ; les traducteurs, J.-A. Meyers et Marcel Beck, méritent les mêmes éloges que leur confrère britannique. Une traduction yougoslave a vu le jour à Serajevo en 1958, sous le titre Privredna Povijest Europskvy zapada u Srednjan Vijcku (traduite par Durdica Hauptmann). Les pays de langue anglaise, néerlandaise, allemande ou yougoslave sont privilégiés par rapport aux pays de langue française : l'accès à une œuvre aussi capitale que Le mouvement économique et social de Pirenne leur est facile. Le texte original français au contraire n'est accessible que dans des ouvrages où il se trouve réuni avec d'autres études : soit dans le volume de la Collection Glotz, qu'il n'est pas aisé de se procurer ; soit dans un recueil des travaux d'histoire économique de Pirenne, intitulé Histoire économique de l'Occident médiéval, publié à Bruxelles et à Paris, en 1951, avec une préface d'E. Coornaert. Texte de GANSHOF François-Louis : "Pirenne, Henri", in Biographie nationale, Bruxelles, Emile Bruylant, t. 30, 1959, colonnes 702-705. Reproduit avec l'aimable autorisation de
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En bref
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Dernière mise à jour : 8 août 2006